top of page

C'est (presque) Noël pour les bouddhistes de Belgique

Le Soir – 19 septembre 2023 Pascal Martin


Le Conseil d'État a rendu son avis sur l'avant-projet de loi qui doit aboutir à la reconnaissance de l'Union bouddhiste de Belgique en tant que représentante officielle auprès de l'État belge. Le texte devrait être voté en décembre. C'est (presque) la fin d'une longue, très longue attente.


C'est (presque) Noël pour les bouddhistes. Selon nos sources, le Conseil d'État a rendu un avis globalement favorable à l'avant-projet de loi déposé par le cabinet Van Quickenborn en vue de la reconnaissance de l'Union Bouddhiste de Belgique (UBB) comme "une organisation qui fournit une assistance morale dans une perspective philosophique non confessionnelle". "Quelques points sont encore à approfondir avec les communautés", nuance toutefois le cabinet du ministre de la Justice, également en charge des cultes. L'avis n'est pas encore publié sur le site du Conseil d'État.


Carlo Luyckx, le président de l'Union Bouddhiste de Belgique, est évidemment heureux de la tournure des choses. Il rappelle que les Régions et les Communautés avaient déjà rendu leur avis en 2022 et que « leur désirata avait été intégré dans l'avant-projet de loi ». Il s'agissait en l'occurrence de mieux baliser la tutelle et la concertation avec les provinces pour éviter les surprises budgétaires, ces derniers étant appelés à intervenir financièrement.


Si tout se passe bien, la loi sera votée en séance plénière du Parlement en décembre prochain. D'ici là, les entités fédérées, le Conseil des ministres et la Commission justice devront encore examiner le texte.


C'est vraiment un "ouf" de soulagement pour l'Union Bouddhiste de Belgique qui revendique 150 000 membres. "Les dernières années ont été denses et intenses, explique Carlo Luyckx. Nous avons travaillé avec plusieurs cabinets. À plusieurs reprises, on a cru voir le bout du tunnel. A tort."


En décembre 2018 ainsi, l'UBB était sur le point de décrocher le graal lorsque la N-VA a retiré la prise du gouvernement Michel. "Les partis nous ont dit alors qu'il faisait absolument être dans la prochaine déclaration gouvernementale pour ne plus que cela arrive. Ce qui a été fait." En mars dernier, tout semble être réglé. Le ministre de la Justice, Vincent van Quickenborn, avait fixé les modalités de reconnaissance du bouddhisme. Mais l'accueil de l'avant-projet de loi par le Conseil d'État avait refroidi les enthousiasmes. Cette fois, après de derniers réglages, l'intronisation de l'UBB ne serait plus qu'une question de mois.


Communauté philosophique non confessionnelle

"C'est en 1961 que la première demande de reconnaissance a été introduite par les bouddhistes, rappelait la constitutionnaliste Stéphanie Wattier (UNamur) dans Carta Academica. À l'époque, la reconnaissance leur a été refusée en raison de leur trop petit nombre d'adhérents."


En 2006, rebelote sous Laurette Onkelings. Cette fois, la sauce prend. Mais le bouddhisme, est-ce un culte ou une communauté non confessionnelle ? « Nous aurions aimé ajouter une troisième catégorie, mieux adaptée à l'essence du bouddhisme, se rappelle Carlo Luyckx. Mais on nous a fait comprendre que c'était déjà assez compliqué comme cela, qu'il ne fallait pas ouvrir la boîte de Pandore. » Ce sera donc sous l'étiquette non confessionnelle que le bouddhisme défendra ses chances.


Six cultes officiels existent en Belgique (catholique, orthodoxe, israélite, anglican, protestant évangélique et islamique.) Il faut ajouter depuis 2002 la laïcité "organisée", reconnue elle aussi en tant que "communauté philosophique non confessionnelle." Jusqu'ici, ces dernières n'avaient pas de « concurrents »...


Aujourd'hui, la fin de ce monopole est annoncée. Ce qui ne va pas sans tiraillement entre le Centre d'action laïque (CAL), et l'UBB. Dans une longue réponse au CAL, Carlo Luyckx réfute le caractère religieux du bouddhisme qui "s'inscrit dans un service qui s'adresse aux personnes - et non à une divinité que l'on adore, Bouddha étant un "homme parmi d'autres." - en ce que l'exercice de l'assistance morale bouddhiste est une démarche caractérisée par l'ouverture et la tolérance, et une pratique qui peut être à la fois spirituelle et rationnelle, éthique et libératrice. Cette démarche est fondamentale dans une société où beaucoup de personnes sont à la recherche de valeurs et de sens à donner à leur vie."


Yoga, méditation et taï-chi

Ces valeurs n'appartiennent évidemment pas qu'aux bouddhistes. Elles se retrouvent notamment chez les pionniers de l'écologie politique. "Le bouddhisme est aux écolos ce que la laïcité est aux socialistes, souffle au passage le représentant d'un culte reconnu." Vrai ?


Chez Ecolo, l'Ixéllois Alain Adriaens, auteur d'un texte consacré au post-matérialisme et à la question du bonheur paru sur le site Ethopia, se souvient qu'à l'origine du mouvement, "une partie des militants étaient intéressés par le bouddhisme." "Mais plutôt par la méditation, le tai chi, le yoga, etc. que par son aspect spirituel." Il y a toujours eu une convergence de valeurs entre l'écologie politique et le bouddhisme, résume-il, à commencer par le respect du vivant.


« Dans les années 80, je me souviens toutefois que la majorité des gens qui militaient chez Ecolo étaient agnostiques ou athées, ce qui ne les empêchait pas d'avoir une sympathie pour le bouddhisme, puisque ce n'est pas un culte et que l'on peut y trouver une certaine manière de vivre. »


Le député écologiste Olivier Vajda, qui a en charge les questions liées à la reconnaissance des cultes et du non confessionnel, ne dit pas autre chose. « La reconnaissance du bouddhisme, c'est le gage d'une égalité pour tout le monde dans la relation culte-public. » Mais chez Ecolo, « la tendance consiste plus fondamentalement à dire que tout ce qui est du religieux et du confessionnel doit être séparé du public. Nous sommes pour une séparation de l'Église et de l'État. Mais ce n'est pas une revendication et ça ne mobilise pas notre réflexion. »

Alain Adriens note pour sa part que le parti vert ne met en avant les cultes que lorsque des choix éthiques se posent. « J'ai toujours été frappé de voir qu'au sein d'Ecolo, des gens de différentes philosophies ne s'affrontent pas sur ce terrain », ajoute-t-il.


En fin de compte, à qui l'UBB devra-t-elle sa reconnaissance ? À Écolo ? La question fait sourire Carlo Luyckx qui dit avoir été soutenu par presque tous les partis selon les époques. « Le bouddhisme trouve même un écho favorable au sein de la N-VA. Seul, le Vlaams Blanc s'y oppose parce qu'il entend privilégier les cultes d'ici. » « Tous les partis sont aujourd'hui conscients de la diversité culturelle de notre société », analyse pour sa part Jean-François Husson (ULiège) tout en rappelant que la question de la représentativité, de la représentation de la communauté islamique auprès de l'État belge a mobilisé pendant de longues années les cabinets politiques. Ceci pouvant expliquer pourquoi le bouddhisme a fait si longtemps anti-chambre. Le bras de fer qui oppose en ce moment "Van Quick" à l'Exécutif des musulmans de Belgique montre à suffisance que la dite question est loin d'être résolue.


Le grand déballage

À neuf mois des élections, les bouddhistes auraient donc partie gagnée, sauf incident peu probable dans la dernière ligne droite. La priorité est désormais ailleurs. Les services du ministre de la Justice Vincent van Quickenborn doivent répondre à la Cour européenne des droits de l'homme qui, le 5 avril 2022, a donné raison aux Témoins de Jéhovah pour discrimination. La Cour avait alors tancé la Belgique, pointant le caractère arbitraire et flou de sa procédure de reconnaissance des cultes, une manière loin d'être claire. Elle avait considéré que le système belge n'offre pas de garantie suffisante d'accessibilité, de prévisibilité et de sécurité juridique. Les critères exigés des candidats étaient jugés flous ou inexistants, la reconnaissance étant - toujours selon la Cour - subordonnée à la seule initiative du ministre et à la volonté purement discrétionnaire du législateur. Le fait du prince...


Le message est clair. La Belgique doit mettre de l'ordre dans son processus de reconnaissance des cultes. La question du financement lui pend également au nez, tant les disparités sont grandes entre les émoluments d'un curé, d'un imam et bientôt d'un délégué de l'UBB. La patate chaude sera de toute évidence refilée au prochain gouvernement. Le sort du Forum hindou de Belgique, qui rassemblerait 20 000 fidèles et demande à son tour d'être reconnu en financé, dépendra lui aussi de l'issue du grand déballage, du mois s'il finit par avoir lieu.


Depuis 2008, l'organisation perçoit une subvention annuelle d'environ 200 000 euros pour mieux se structurer en vue de sa reconnaissance. Une fois celle-ci obtenue, un montant de 1,2 million d'euros sera ajouté chaque année.

bottom of page