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Le bouddhisme : philosophie ou religion ?

Réaction de l’Union Bouddhiste de Belgique à l’article dans Espace de Libertés

« Le bouddhisme : philosophie ou religion ? »


Dans son article “Le bouddhisme : philosophie ou religion ?“, mise en ligne le 20 février 2023 sur le site “Espace de libertés - le magazine du Centre d’Action Laïque” (EDL), Anaïs Pire, Déléguée “Etudes & Stratégie” au CAL, s’interroge d’une part sur la reconnaissance du bouddhisme prévue dans la déclaration gouvernementale alors que la procédure belge a été critiquée par la Cour européenne des droits de l’homme et, d’autre part, sur le fait que cette reconnaissance le serait à titre de philosophie non confessionnelle et non comme religion.


La CEDH a en effet donné raison aux Témoins de Jéhovah qui se plaignaient de ne pas bénéficier de l’exonération fiscale sur le précompte immobilier, cette exonération étant subordonnée à une reconnaissance préalable comme culte. La Cour a constaté que le régime belge actuel de reconnaissance aboutissait à des discriminations, et qu’ainsi la différence de traitement dont les Témoins de Jéhovah faisaient l’objet manquait de justification objective et raisonnable.


Cette décision importante a pour conséquence que les Témoins de Jéhovah ne pouvaient se faire refuser le droit de bénéficier de l’exonération du précompte immobilier pour leurs lieux de culte à l’instar des cultes reconnus. La Cour estime sur ce point déraisonnable pour les Témoins de Jéhovah de devoir se soumettre à cette procédure de reconnaissance pour bénéficier d’une exonération du précompte.


Une fois que le principe du caractère arbitraire du régime de reconnaissance des cultes, est admis, cette constatation s’étend à tous les avantages actuellement réservés aux cultes et philosophies non confessionnelles. Ainsi logiquement les avantages qui leur sont actuellement réservés ne pourraient plus être refusés aux cultes et philosophies non reconnus, en ce compris le bouddhisme.


Ainsi la demande de reconnaissance actuellement en cours pourrait devenir sans objet puisque sur base de la cette décision de la CEDH, à l’heure actuelle le bouddhisme ne pourrait se voir refuser les avantages octroyés aux cultes reconnus, sans devoir passer par une reconnaissance préalable.


On s’étonne donc que l’article dans EDL énonce : « Se pose dès lors la question : la Belgique devrait-elle courir le risque de s’engager vers la reconnaissance du bouddhisme à partir d’une procédure contestée, avant même la mise en conformité de celle-ci avec la jurisprudence de la Cour ? Le respect de l’État de droit, en ce compris le respect des décisions juridictionnelles internationales, devrait primer sur l’engagement politique pris auprès de l’Union bouddhique belge. Il n’est pas question ici de faire preuve de prudence excessive, mais bien de tenir compte d’une exigence fondamentale de toute société démocratique.”


Si l’on suit le raisonnement du CAL, ou du moins celui de l’article dans EDL, il faudrait arrêter un processus qui après 17 ans est finalement proche de son aboutissement et cette fois attendre qu’une loi instaurant la procédure de reconnaissance soit votée et promulguée.


Ce point de vue, qui n’est en aucune manière conforme aux conséquences actuelles attachées à la décision de la CEDH, n’a d’autre conséquence que de prolonger la longueur du processus, ce qui est justement critiqué dans l’arrêt de la Cour des droits de l’homme. De plus elle anticipe sur la solution future que l’État belge entend donner à cette question. Si la CEDH a en effet constaté que le système de reconnaissance était discriminatoire et arbitraire, elle n’a toutefois pas indiqué de quelle façon l’État belge devait s’y prendre pour faire cesser cette discrimination.


On s’étonne aussi de voir que selon l’article dans EDL il conviendrait d’arrêter le processus de reconnaissance du bouddhisme mais non de remettre en cause l’octroi des avantages accordés aux convictions déjà reconnues selon un procédure jugée arbitraire, prônant ainsi un statu quo par lequel les avantages octroyés leur restent réservés, à l’exclusion des autres, ce qui est précisément ce que la CEDH reproche à la Belgique.


Tant que la Belgique n’a pas entamé de processus de changement dans ce domaine, l’Union Bouddhiste de Belgique, en parfait accord avec le ministre de la Justice, entend poursuivre le processus commencé il n’y a pas moins de 17 ans, et ce même si l’enjeu de cette démarche est considérablement réduit, puisque comme souligné plus haut depuis l’arrêt de la CEDH, le bouddhisme pourrait dès à présent demander de bénéficier des avantages réservés aux cultes et convictions non confessionnelles reconnus.


En ce qui concerne la reconnaissance du bouddhisme, l’article dans EDL, sous le titre “Un régime inadapté”, conteste le choix de l’Union Bouddhiste de Belgique (UBB) pour une reconnaissance de philosophie non confessionnelle comme prévu au paragraphe 2 de l’article 181 de la Constitution belge et que si le bouddhisme est reconnu, il doit l’être sur la base du régime des religions. L’article affirme ainsi :“En substance, le bouddhisme devrait être considéré comme une religion à plusieurs titres. D’abord, il suppose la croyance dans le surnaturel, tels l’immortalité de l’âme, la réincarnation, le statut ultime obtenu par Bouddha en accédant au nirvana, la nomination magique du leader religieux, etc., qui sont autant de dogmes. Ensuite, il suppose le respect de préceptes et de règles de vie ayant un statut sacral, notamment fondés sur les paroles, faits et gestes de Bouddha, dont l’image est adorée. Enfin, il établit des temples et des communautés religieuses et monastiques. Autant de considérations qui témoignent bien de son caractère confessionnel.”


L’article poursuit l’argumentation en cherchant dans les statuts des associations membres de l’UBB : “Tous les statuts des associations en question traitent d’enseignements, de traditions et de pratiques dans leur objet social. Ils doivent être «authentiques» et dépendent le plus souvent d’une personne placée dans une situation d’autorité (vénérable, maître, moine, etc.). Cette circonstance témoigne de l’existence d’une forme de leadership religieux, qu’il s’agisse d’une «école» du bouddhisme, d’une figure d’autorité ou de Bouddha lui-même.” Elle reconnaît que le choix du régime sous lequel l’UBB sollicite sa reconnaissance est sa prérogative et que les pouvoirs publics sont sans autorité en cette matière. “Néanmoins, le fait que ce choix soit avalisé par le gouvernement sans qu’aucune motivation ne donne lieu à la compréhension ou à la justification de cette décision, et en dépit des constats les plus essentiels, interpelle d’un point de vue démocratique.”


En ce qui concerne ce dernier point, force est de constater que EDL ignore l’argumentation énoncée dans l’exposé des motifs de l’avant-projet de loi. Avant de répondre aux arguments invoqués par l’article pour certifier que le bouddhisme ne peut pas prétendre au statut d’une philosophie non confessionnelle, il est indispensable de prendre connaissance de la justification de ce choix dans l’avant-projet de loi : “Le choix de la reconnaissance entre un culte et une organisation philosophique non confessionnelle est une question interne à ce culte ou cette organisation philosophique non confessionnelle.


Le Conseil d’État, dans son avis du 15 juillet 1998 sur l’avant-projet de loi relatif aux délégués et aux administrations chargées de la gestion des intérêts matériels et financiers des communautés philosophiques non confessionnelles reconnues, interprète l’article 181, § 2, de la Constitution dans les termes suivants :


« (…) les termes mêmes de cette disposition constitutionnelle indiquent que toute organisation dont les délégués offrent une assistance morale non confessionnelle peut solliciter la reconnaissance de l’État. Ceci est, par ailleurs, confirmé par les travaux du Constituant lorsqu’il a analysé les termes « communautés non confessionnelles ». « Le terme de « non confessionnel » doit s’envisager dans un large contexte social : la notion renvoie à une communauté philosophique – au sens large du terme – qui n’appartient à aucun des cultes existants, parce qu’elle rejette toute relation à la divinité.


(…) La communauté non confessionnelle est une communauté philosophique dont l’existence est établie et qui présente une grande diversité et un mouvement continu (Doc. Parl., Sénat, session 1992-1993, n° 100—3/2°, p. 3).


Ces derniers mots en particulier confirment que, par le texte de l’article 181, § 2, le pouvoir constituant a manifesté la volonté que le pouvoir législatif puisse reconnaître plusieurs organisations offrant une assistance morale selon une conception non confessionnelle (Doc. Parl., Chambre des représentants, session 1998-1999, p. 46-47).».


Vu que l’Union Bouddhiste de Belgique a tenu à se faire reconnaître en tant qu’organisation philosophique non confessionnelle, l’État est tenu de considérer ce choix, en respect de l’article 21 de la Constitution et du principe d’indépendance des cultes et des organisations philosophiques non confessionnelles vis-à-vis de l’État.


En outre, l’Union Bouddhiste de Belgique motive ce choix de la façon suivante :

Tout d’abord, en ce qui concerne le sens à donner aux mots « culte » et « organisation philosophique non confessionnelle », il peut être observé qu’en néerlandais, ces deux éléments, culte [eredienst] et assistance morale [morele dienst], renvoient à la notion de « service » [dienst]. La différence réside toutefois dans l’objet de ce service. Dans le cas d’un culte, le service s’adresse à un Être suprême, tandis que dans le cas de l’assistance morale, le service s’adresse uniquement à des personnes.


Le bouddhisme s’inscrit dans un service qui s’adresse aux personnes en ce que l’exercice de l’assistance morale bouddhiste est une démarche caractérisée par l’ouverture et la tolérance, et une pratique qui peut être à la fois spirituelle et rationnelle, éthique et libératrice. Cette démarche est fondamentale dans une société où beaucoup de personnes sont à la recherche de valeurs et de sens à donner à leur vie.


Il constitue avant tout une sagesse de vie fondée sur l’expérience personnelle, ne professant aucun dogme et n’impliquant par elle-même aucune option métaphysique, mais n’en rejetant non plus aucune.


La voie bouddhiste vise notamment à cultiver la générosité, l’éthique, la patience, la persévérance, la concentration méditative et la sagesse. Avancer sur ce chemin permet de s’épanouir dans sa vie personnelle, familiale, sociale et professionnelle. C’est notamment par ces moyens que le bouddhisme aspire à contribuer à l’émergence d’une société harmonieuse et pacifique.


Par ailleurs, les centres bouddhistes sont fréquentés aussi bien par des athées que par des croyants et des agnostiques.


Finalement, l’assimilation du bouddhisme à une organisation philosophique non confessionnelle est pleinement acceptée par l’ensemble des associations membres de l’Union Bouddhiste de Belgique.


Par conséquent, les services qu’offre le bouddhisme s’inscrivent dans la catégorie d’organisation philosophique non confessionnelle vue que le bouddhisme s’adresse aux personnes et tente de contribuer à leur épanouissement.”


Contrairement à ce qui est énoncé dans l’article du magazine du CAL, le gouvernement n’a donc pas avalisé ce choix sans qu’aucune motivation ne donne lieu à la compréhension ou à la justification de cette décision, puisque l’exposé des motifs est très clair à ce sujet. Néanmoins, afin de fournir davantage d’éclaircissements sur les raisons du choix unanime des membres de l’UBB d’opter pour le choix du deuxième paragraphe de l’article 181 de la Constitution, il peut être utile d’apporter des précisions sur la terminologie utilisée dans la législation et sur les principes fondateurs de la philosophie et la pratique du bouddhisme, et notamment sur les arguments invoqués par l’article dans EDL pour refuser au bouddhisme le statut de philosophie non confessionnelle.


Dans les articles 19, 20, 21 et 181 §1 de la Constitution, il n’est pas question de “religions” mais de “cultes” (en néerlandais “erediensten”). Seul l’article 24 mentionne “le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle”, mais là cela devient en néerlandais “godsdiensten” (service à Dieu). Du point de vue étymologique, selon l’interprétation majoritaire, le mot “religion” trouverait son origine dans le verbe latin “religare”, signifiant "relier". L’Encyclopédie Universalis atteste à ce sujet :


“Si la religion « relie », que relie-t-elle ? Trois grandes réponses sont envisageables :

  • elle relie l’homme aux dieux ou à Dieu, elle met en relation le monde terrestre des hommes et le monde céleste des divinités ;

  • elle relie les hommes entre eux ;

  • ou, enfin, elle relie l’homme à la nature, à l’Univers, développant en lui un sentiment d’appartenance à une dimension qui l’englobe et le dépasse.”

Le bouddhisme ne reconnaissant pas d’être suprême, de Dieu créateur ou d’Architecte de l’univers, il ne correspond nullement à la première interprétation. Par contre, si l’on interprète “religion” selon les deux autres réponses à l’exclusion de la première, on pourrait effectivement qualifier le bouddhisme de religion sans dieu, ou religion athée. Au risque de vexer l’autrice de l’article d’Espace de Libertés, ce qui n’est certes pas mon intention, la laïcité organisée pourrait se reconnaître dans la deuxième réponse, puisqu’elle relie les êtres humains entre eux, elle organise des mariages laïques et cérémonies d’union, des funérailles laïques, des parrainages laïques, de l’assistance morale dans les hôpitaux et maisons de repos, dans les prisons, etc.


Pour ce qui concerne le terme “culte” ou “eredienst”, qui implique forcément un dieu, une divinité, un être suprême, il n’est aucunement applicable au bouddhisme. En ce qui concerne l’allégation que le bouddhisme croît dans l’immortalité de l’âme, je mets quiconque au défi de trouver une seule citation dans les textes bouddhistes qui affirme l’existence même d’une âme. Au contraire, le Bouddha enseigna l’Anatman, c’est-à-dire la non-existence d’un soi, d’une âme, par opposition à la doctrine hindoue d’Atman.


Contrairement aux religions Abrahamiques, le bouddhisme n’est pas seulement une philosophie athée, il ne connaît pas non plus de dogme. Le Bouddha historique qui a vécu il y a 2.600 ans n’est en aucune sorte considéré par les adhérents de sa philosophie comme un dieu, un être divin, un prophète ou messager envoyé par un être suprême, mais comme un être humain qui a réalisé la vraie nature de son esprit, l’état de Bouddha, terme qui se traduit par l’éveillé, dans le sens de s’être réveille de l’ignorance, de la confusion, d’être libéré des émotions perturbatrices comme la haine, la jalousie, l’orgueil et la convoitise et d’avoir atteint la sagesse. Il est donc considéré comme un sage et ainsi comme un exemple à suivre, chaque être possédant la nature de bouddha et étant ainsi un bouddha potentiel. C’est ainsi que quand on s’incline devant une représentation du Bouddha historique et qu’on allume une bougie ou de l’encens, il ne s’agit pas d’une adoration mais d’une méthode visant à se rappeler de sa propre nature profonde et de son engagement à réaliser l’état de Bouddha dans un esprit altruiste, c’est-à-dire pour être en mesure de soulager la souffrance de tous les êtres et de les aider à atteindre la sagesse.


Le bouddhisme ne connait pas de texte sacré ou révélé comme la Bible, le Coran ou la Torah. Après avoir atteint l’état de Bouddha, Siddhârta Gautama Sâkyamuni a enseigné pendant 45 ans et ses paroles ont été reprises dans un ensemble de 108 volumes, qui ont été complétés par un ensemble de 240 volumes contenant les commentaires des érudits indiens au fil des siècles et compilés notamment dans les grandes universités bouddhiques de Nalanda et Vikramasila, avant d’être traduits dans de nombreuses langues partout en Asie. L’absence de tout dogme et l’appel au principe du libre examen ont été formulés par le Bouddha historique dans plusieurs textes, dont le principal est le Kamala Sutra, dont voici un extrait :


“Examiner avant d'accepter ou de rejeter”.


“Nous ne devrions pas croire à une chose uniquement parce qu'elle a été dite, ni croire aux traditions parce qu'elles ont été transmises depuis l'Antiquité; ni aux "on dit" en tant que tels, ni aux écrits des sages parce que ce sont des sages qui les ont écrits; ni aux imaginations que nous supposons nous avoir été inspirées par un être spirituel; ni aux déductions tirées de quelque hypothèse hasardeuse que nous aurions pu faire; ni à ce qui paraît être une nécessité analogique; ni croire sur la simple autorité de nos maîtres ou instructeurs.

Mais nous pouvons accorder crédit à un écrit, à une doctrine ou à une affirmation lorsque notre raison et notre expérience intime les confirment.

C'est pourquoi je vous ai enseigné à ne pas croire simplement d'après ce qui vous a été dit, mais conformément à votre expérience personnelle.”


Cette affirmation par le Bouddha lui-même démontre que, contrairement aux religions Abrahamiques, le bouddhisme, dès ses origines, ne connait pas de dogmes et que les adhérents de cette philosophie sont encouragés à comprendre au lieu de croire. Les bouddhistes ne se considèrent pas comme des croyants.


Parmi les principes qui caractérisent cette philosophie et auxquels le pratiquant est invité à réfléchir, figurent l’impermanence de tous les phénomènes et surtout de notre existence, l’interdépendance, la nature insatisfaisante de la vie, la relativité du temps et de l’espace, etc. D’autres éléments propres au bouddhisme ne sont à première vue pas toujours évidents à concilier avec les systèmes de pensée de la culture judéo-chrétienne, tels que le karma, principe de cause à effet et ce qui en découle qui est appelé communément réincarnation, terme qui prête à confusion et qui n’a pas du tout la même signification que dans l’hindouisme, puisque le bouddhisme nie l’existence d’une âme, comme précisé précédemment. Personne n’est invitée à croire dans ces principes comme si c’étaient des dogmes mais bien d’en nourrir sa réflexion. Il y a nombre de bouddhistes, surtout en occident, qui n’y adhèrent pas mais qui se considèrent bouddhistes pratiquants. L’on pourrait les considérer comme les agnostiques présents au sein de la laïcité organisée.


L’enseignement du Bouddha, que l’on désigne par le terme de Dharma, a été préservé depuis le 6ième siècle avant notre ère jusqu’à nos jours grâce aux universités et collèges monastiques et à travers des lignées de transmission de maître à disciple. Les temples et lieux d’études et de pratique de la méditation se sont développés d’abord en Inde et ensuite partout en Asie, au Népal, au Sikkim, au Bhutan, en Afghanistan, en Iran, au Tibet, en Mongolie, en Sibérie, en Chine, au Japon, en Corée, au Vietnam, en Indonésie, au Cambodge, au Laos, en Thaïlande, au Sri Lanka… Partout où les érudits bouddhistes sont arrivés, toujours sur invitation parce que le bouddhisme interdit tout prosélytisme, le Dharma a incorporé des valeurs locales si elles n’étaient pas en contradiction avec le Dharma, ainsi que des éléments culturels. C’est ainsi que ce sont surtout les aspects culturels du bouddhisme, parfois très riches et coloriés, parfois très sobres ou “zen“, selon les pays, qui ont incité les colonisateurs occidentaux au 18ème et 19ème siècles à qualifier cet art de vivre qu’est le bouddhisme comme la cinquième religion mondiale, avec comme seul cadre de référence les religions judéo-chrétiennes pour conclure des apparences extérieures qu’il s’agissait d’une religion, sans s’interroger sur la philosophie dont les principes font l’objet d’un symbolisme très riche, mais nullement représentant l’idée d’un ou de plusieurs dieux ou êtres suprêmes. C’est ainsi que l’image du Bouddha sert à rappeler le pratiquant de sa propre nature essentielle de l’esprit et à s’efforcer à cultiver la sagesse.


La Sangha, ou la communauté des pratiquants du Dharma, dont une partie est représentée par des moines et moniales qui se sont engagés à respecter certains préceptes à vie ou pour une durée déterminée, et une autre partie, majoritaire, par des pratiquants n’ayant pas pris ces préceptes, cette Sangha est responsable de la préservation et la transmission des enseignements du Bouddha historique et des développements intervenus au cours des siècles jusqu’à aujourd’hui, puisque cet enseignement n’est pas figé et tient compte de l’évolution de la société. L’article d’Espace de Libertés soutient que ces préceptes et règles de vie auraient un statut sacral et que leur respect est imposé à tout pratiquant. Cette affirmation est erronée car chacun est libre de s’imposer ou non l’un au plusieurs de ces préceptes pour une durée librement décidée, et dont le but est de faciliter le développement d’une éthique et d’une harmonie dans sa vie personnelle. Ils n’ont pas de caractère sacral, ce sont des simples principes pour éviter de causer la souffrance pour soi-même et pour autrui, tels que ne pas prendre la vie, ne pas s’approprier ce qui n’a pas été donné, etc. Il n’y a pas de commandements dan le bouddhisme, chacun est juge de sa propre conscience et de son comportement éthique et la notion de péché est inexistant.


En ce qui concerne l’argument que les statuts des associations membres de l’UBB traitent d’enseignements, de traditions et de pratiques, de lignées de transmission authentiques et de personnes détenteurs font témoigner “de l’existence d’une forme de leadership religieux”, il convient de préciser qu’il s’agit d’une dimension spirituelle et non religieuse, le terme “spirituel” faisant référence à la discipline de l’entrainement de l’esprit à maîtriser ses pensées, ses passions et ses émotions et n’ayant rien en commun avec le principe de rendre service ou d’adorer un être suprême, comme c’est le cas dans les religions Abrahamiques. L’exigence d’authenticité est un élément essentiel pour permettre à l’organe représentatif qu’est l’UBB de distinguer les associations sérieuses des mouvements sectaires ou d’organisations servant les intérêts de prétendus « maîtres » souvent autoproclamés.


Pour ce qui est de l’affirmation “le statut ultime obtenu par Bouddha en accédant au nirvana, la nomination magique du leader religieux, etc., qui sont autant de dogmes“, il convient de préciser que le nirvana ne correspond nullement à la notion chrétienne de paradis auquel on aurait accès après la mort si on a fait du bien dans sa vie et rendu service à Dieu, ce qui est sans doute une interprétation simpliste de la foi chrétienne. Le nirvana signifie la cessation de l’insatisfaction et de l’ignorance par la réalisation de la sagesse, que l’on peut atteindre ici sur terre, pour le résumer de manière simpliste également. Ne sachant pas ce que l’article dans EDL vise par la nomination magique du leader religieux, l’on peut supposer qu’il s’agit de la sélection du successeur du Dalai Lama, qui est propre à la tradition et la culture du Tibet, et qui n’a rien de magique. Par ailleurs, le Dalai Lama n’est pas le pape du bouddhisme et il n’y a aucune autorité semblable au système en vigueur dans l’église catholique. Dans le bouddhisme, chaque tradition, chaque école monastique, chaque courant est totalement indépendant, n’est redevable à aucune autorité pyramidale et choisit son propre leader spirituel sur base d’élection ou de reconnaissance par consensus basée sur le niveau de sagesse et d’érudition atteint par les candidats en lice, pour une durée variable selon les traditions.


Comme il est de notoriété publique, étymologiquement, le mot “philosophie“ dérive du grec ancien où “philô” signifie “aimer” et “sophia” signifie “sagesse”, ce qui donne comme traduction “amour de la sagesse”. Selon le Larousse, “confession” signifie “relatif à la foi religieuse”. La sagesse représentant l’objectif principal de tout pratiquant du bouddhisme et la négation de l’existence d’un être suprême étant commune à toutes les écoles du bouddhisme, la qualification de “philosophie non confessionnelle” reprise par l’article 181 §2 de la Constitution convient parfaitement à l’UBB, même si la laïcité organisée est parfaitement en droit d’en avoir une interprétation différente. Par contre, la qualification de “culte” est incompatible avec le caractère athée du bouddhisme, comme cela a été confirmé à plusieurs reprises à l’unanimité par les 35 associations membres de l’UBB.


Carlo Luyckx

Président de l’Union Bouddhiste de Belgique


Bruxelles, le 23 mars 2023

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