Lors du l'émission Déclic sur la RTBF, Julie Morelle et Himad Messoudi invitent Pierre Verjans, politologue à l’ULiège et membre du Conseil d'administration de l’Union Bouddhique Belge, sur la reconnaissance du bouddhisme comme huitième conception philosophique en Belgique.
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05/04/23
Retranscription de l'interview
Julie Morelle - Le bouddhisme sera bientôt officiellement reconnu comme conception philosophique non-confessionnelle. Avec cette reconnaissance officielle les bouddhistes obtiendront un soutien financier et des conseillers rémunérés dans les prisons ou les hôpitaux. L’enseignement du bouddhisme dans les écoles n’est pas exclu.
Nous avons invité le politologue Pierre Verjans, professeur émérite de l’Université de Liège, mais qui aujourd’hui vient avec une casquette en plus. Vous êtes membre du Conseil d'administration de l’Union Bouddhiste de Belgique.
Julie Morelle - Le bouddhisme et vous, c’est une longue histoire ?
Pierre Verjans – Pas une très longue histoire. Cela fait douze ou treize ans que je fréquente un centre Zen, qui permet de faire la méditation, sans pour autant adhérer nécessairement à la philosophie globale. Il y a des gens qui viennent juste avec l’objectif d’avoir une technique de méditation. Moi, je suis plus dans un choix spirituel.
Julie Morelle - Est-ce que vous savez identifier ce qui vous a séduit dans cette philosophie ?
Pierre Verjans – J’ai grandi dans une famille très catholique et très croyante, pas simplement pratiquante. Et quand j’ai considéré que le fait de croire en un Dieu qui a tout créé et qui est tout bon, me semblait vraiment trop paradoxal, je n’ai plus cru en Dieu. Mais le travail de spiritualité, d’intériorité, de questionnement que je vivais à ce moment-là m’avais plu. Et donc j’ai continué un peu à chercher. Et puis il s’arrivé que …
Julie Morelle - … vous avez trouvé des réponses spécifiques avec cette philosophie-là. Justement sur cette question, est-ce que c’est une philosophie ou est-ce que ce n’est pas une religion ? Vous venez en partie d’y répondre : que vous ne prenez pas nécessairement tout. Vous prenez ce qui vous intéresse. Est-ce que c’est une spécificité du bouddhisme, qu’il y a plein de manières de le vivre ? Ou c’est propre finalement à tous les cultes et toutes les philosophies ?
Pierre Verjans – Le fait de prendre dans une tradition des morceaux qu’on met plus en évidence, cela se retrouve partout, je crois. Les religions abrahamiques, celles qui sont reconnues pour le moment, choisissent finalement dans l’Ancien Testament et dans le Nouveau Testament - et l’islam se réfère au Coran, mais aussi au Nouveau et à l’Ancien Testament - et utilisent des textes dont certains sont mis plus en évidence que d’autres. Donc, ce n’est pas du tout une spécificité du bouddhisme.
Julie Morelle - Être bouddhiste en Europe, est-ce que c’est très différent d’être bouddhiste en Inde, au Tibet, en Thaïlande ? Est-ce que là-bas en occurrence, c’est plus une religion ? Et que c’est aussi le fait de pratiquer le bouddhisme ici, qui fait qu’on ne peut pas utiliser ce mot de culte ou de religion ?
Pierre Verjans – C’est clair que dans la pratique de certains pays, il y a une piété qui est vraiment de l’ordre du religieux. Il y a parfois des adorations du Bouddha qui ne sont pas une relation à un être humain. Quand le bouddhisme a commencé à être connu en Europe, à partir du 19ème siècle surtout, après la grande vague d’islamophilie, il y a eu une vague de « bouddhophilie ». Et on a eu d’ailleurs quelques grands traducteurs belges de textes bouddhistes. Et là il y au eu vraiment en intérêt en Europe.
Julie Morelle - C’est dans les années soixante qu’il y a eu les premiers temples en Belgique, il me semble.
Pierre Verjans – Dans les années soixante, cela a vraiment été multiplié, parce qu’il y a eu une attitude vis-à-vis de la religion qui était beaucoup moins de soumission traditionnelle.
Julie Morelle - Et on n’a pas dévoyé le bouddhisme dans la manière dont on le pratique, dont on le pense ici, en Europe ou dans les Etats-Unis ?
Pierre Verjans – Dans l’Union Bouddhiste de Belgique on fait attention à ce que chacune des traditions représentées ait une fidélité à sa tradition d’origine. Il y a des tibétains qui pratiquent des rites et qui ont une philosophie qui est très liée à ce qui se pratique au Tibet. Dans la tradition Zen c’est très différent. On essaye que chacun ait des ancrages historiques. On n’a pas une invention d’un nouveau bouddhisme. Mais il est vrai que la façon dont les Européens traitent leur rapport à la religion est très différent de ce qui se passe dans une société traditionnelle où les gens ne se posent pas la question de savoir quelle religion ou quelle philosophie non-confessionnelle ils vont choisir.
Himad Messoudi – Cette reconnaissance, qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que cela va changer fondamentalement les choses. Aujourd’hui il y a 150.000 adeptes. On se base sur une étude d’il y a quelques années déjà. Est-ce que vous pensez que cette reconnaissance est de nature à diffuser plus largement cette philosophie ?
Pierre Verjans – C’est un peu l’objectif : construire une communauté de pratique qui soit plus stable. Mais, en même temps cela n’a pas de caractère impérieux pour les associations qui sont présentes dans l'Union Bouddhiste de Belgique en réalité. Jusque maintenant, ces associations vivent avec les dons des pratiquants. Donc ce n’est pas obligatoire, ce n’est pas une condition pour survivre. Mais c’est en effet une condition pour mieux s’expliquer, mieux se faire connaître et mieux proposer des services à la société.
Himad Messoudi – Une reconnaissance ouvre aussi l’enseignement du bouddhisme à l’école. Mais on sait que le texte est au Conseil d’état. On ne sait pas encore si ce sera jouable pour la Communauté française. Est-ce que vous êtes favorable à ce que le bouddhisme soit proposé aux élèves de l’enseignement obligatoire ?
Pierre Verjans – Dans la mesure où les autres confessions et convictions sont autorisées à enseigner dans les écoles, oui. Cela me semble évident. Mais en même temps on sait que la Communauté française met en question le fait d’inscrire dans le programme obligatoire cet enseignement.
Julie Morelle - L’enseignement des religions en général.
Pierre Verjans – Oui, des religions et de la morale non-confessionnelle. Un débat a lieu dans la Communauté française qui dépasse le bouddhisme. Et donc le bouddhisme subira les conséquences de ce débat.
Himad Messoudi – Mais cela vous semblera illogique et injuste que le bouddhisme, à partir du moment où il sera reconnu par l’État belge, ne puisse pas être enseigné dans les écoles ?
Pierre Verjans – Oui, mais en même temps il y a une vrai discussion juridique amenée par certains membres du Centre d’Action Laïque. Pas tous, mais en tout cas certains mettent en évidence une différence dans la constitution concernant l’enseignement officiel. Dans le texte sur l’enseignement des religions et morale on met les religions en pluriel, tandis qu’on y utilise le singulier pour l’enseignement de la morale laïque non-confessionnelle. Mais à cette époque il n’y avait qu’une morale non confessionnelle. Donc c’est normal que ce soit mis en singulier. Mais pour la plupart des observateurs, ce sont les circonstances qui expliquent le singulier et cela ne restreint pas le choix du législateur. Mais pour certains du Centre d’Action Laïque c’est une mise en danger de leur monopole de donner l’enseignement sur la morale non-confessionnelle. Et donc, effectivement, eux ne sont pas d’accord. Il y a une possibilité qu’il y aura des recours de ce côté-là. Je dirais que cela est une question de point de vue. Et c’est clair que ce sera discuté.
Julie Morelle - Une dernière question. Où commence le bouddhisme ? A partir quand devient on bouddhiste ? Il est vrai qu’aujourd’hui on parle beaucoup de pleine conscience et de méditation. Et beaucoup ne le voient pas comme une religion. C’est plutôt une pratique de bien-être. A partir de quand on dépasse cette pratique de bien-être et on devient bouddhiste ?
Pierre Verjans – Pour moi, c’est à partir du moment où on commence à lire d’autres textes que ceux qui sont de la pratique directe de la méditation ou de la pleine conscience, et où on commence à s’intéresser aux circonstances historiques et de comment ces circonstances nous interpellent maintenant. Et donc, je dirais que c’est à partir du moment où on fait un travail qui dépasse le travail thérapeutique et de bien-être et où on commence à se poser des questions sur son être à soi au milieu des autres dans une société. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui pratiquent la méditation ou la pleine conscience de façon clairement thérapeutique ou simplement d’amélioration de leur bien-être.
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